vendredi 9 juillet 2010

Le double encorbellement en Champagne méridionale

  Cet article est le fruit de recherches et non une simple compilation de choses déjà publiées. Aussi, ayez l'honnêteté intellectuelle de donner la source et la référence lorsque vous l’utilisez ou copiez-collez.

  L’encorbellement est une construction en saillie du plan vertical d’un mur, sur le prolongement des solives du plancher intérieur ou des sommiers. A Troyes, il était couramment admis que le double encorbellement était une technique de construction qui permettait d'identifier des maisons qui préexistaient au grand incendie de 1524.

 La maison en encorbellement s’est développée à partir du XIVe siècle. On a souvent expliqué le développement de l’encorbellement pour des avantages en matière d'occupation du terrain et de gain d'espace au sol qu'il pouvait procurer ; il est aussi souvent avancé qu'il se serait développé pour des raisons fiscales, permettant de gagner de la surface tout en gardant la même taxe, celle-ci prélevée sur la surface au sol. 

 Or l'encorbellement se développe aux XIVe et surtout XVe siècle, à une période de l’histoire où les pressions démographiques dans les villes et, par conséquent, la pression fiscale, deviennent moins importantes. Pestes, guerres et famines avaient provoqué une forte baisse de la démographie et vidé les villes de la région. L'exemple de Bar-sur-Seine (étudié par Michel Belotte dans sa thèse La région de Bar-sur-Seine à la fin du Moyen-âge, du début du XIIIe siècle au milieu du XVIe siècle, 1973) est particulièrement révélateur. Entièrement ruinée en 1475, la nécessité de reconstruire et de remettre en valeur les parcelles dévastées de la ville favorisait un réaccensement plus faible pour le reprenneur. La misère de la population avait abouti à de nouveaux accensements afin de favoriser la reconstruction.  Aussi, l'exemple de Bar-sur-Seine montre bien que le développement de la construction en encorbellement n'est pas le résultat d'une pression fiscale plus forte, bien au contraire.

 S’il est des raisons qu’il faudrait sans doute retenir c’est d’une part que l'encorbellement protège du ruissellement des eaux de pluie le ou les niveaux inférieurs de la façade, cause principale de la dégradation du bois et du torchis. Le double encorbellement résultait sans doute de cette recherche pour augmenter la protection de la façade. L'étage supérieur était bien protégé par un imposant pignon avec ferme d'avant-toît, les étages suivants par les deux encorbellements successifs.

 D’autre part, les pièces de bois de longue et large section seraient devenues plus rares à la fin du XIIIe siècle. L'expansion agricole qu'a connu l'Occident entre le Xe et le XIIIe siècle s'est traduite par les "Grands défrichements". La haute futaie serait devenue plus rare au terme de cette période. Dans les constructions à bois longs, les pièces de bois, montants de la structure, sont continues du sol à la toiture ; dans les structures à bois courts, elles font la hauteur d’un étage.  La technique de construction en bois longs limitait aussi la hauteur des maisons à la longueur des pièces de bois, contrairement aux bois courts qui permettaient une meilleure superposition des étages : la hauteur de la maison n'était plus limitée par celle des pièces de bois.  

  Par ailleurs, la mise en œuvre des bois longs était techniquement plus difficile, en particuliers pour les pièces de bois d’angle, de très forte section et très lourdes.

  Enfin, il semblerait qu'à partir de cette époque, le sciage va remplacer l'ancienne technique de débitage des pièces de bois, l'équarrissage. Le sciage permettait une exploitation plus rationnelle de la bille de bois, réduisant les déchets.



 A Troyes, il ne subsiste plus qu’une seule maison à double encorbellement du XVIe siècle, au n°50 de la rue Kléber (ci-dessus), restaurée par le Me Charpentier Jean-Louis Valentin.


 Ce dernier a créé une nouvelle façade à double encorbellement pour la rénovation d’une maison place du Marché au Pain (ci-dessus). Un tel double encorbellement quartier Saint-Jean n’est pas incongru. Il en existait encore au XIXe siècle dans un îlot très proche de la place du Marché au Pain, sur l’ancienne place de la Charbonnerie, aujourd’hui disparue. 


Place de la Charbonnerie, fusain (musée de Troyes)

 La connaissance de l’existence de cette maison à double encorbellement place de la Charbonnerie, attestée par plusieurs documents, permet de remettre en cause le fait que les maisons à double encorbellement dateraient des XIVe et XVe siècle et qu’au XVIe siècle, en particulier après le grand incendie de 1524 qui réduisit en cendres un quart de la ville, on ne ferait plus que des maisons à un seul encorbellement. Cependant, cette maison de la place de la Charbonnerie est placée au cœur du secteur qui fut ravagé par l’incendie ; par conséquent, elle était postérieure à 1524, à moins que par miracle, elle ait subsisté à l'incendie.


 L’exemple Barséquanais vient apporter de nouveaux arguments en ce sens. En 1475, alors aux mains des Bourguignons, la ville fut, selon les chroniqueurs de l’époque, entièrement détruite par les troupes royales. Il existe un certain nombre de maisons à double encorbellement à Bar-sur-Seine. Seraient-elles des reliques de la ville d’avant sa destruction, ou des reconstructions de la fin du XVe siècle ? Or il se trouve que l’une d’elle est datée de la fin du XVIe siècle (années 1580).


 Chaource est aussi une petite ville où l’on trouve des maisons à double encorbellement. Ce double encorbellement peut s’expliquer par le fait que le premier encorbellement vient en aplomb au-dessus des "allours", galeries couvertes placées sous le premier étage.





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