dimanche 6 mars 2011

L’ "Ecce Homo" de la cathédrale de Troyes


Ecce Homo, cathédrale de Troyes
  On a souvent confondu le « Christ aux liens », ou « Christ de pitié », et le « Christ au roseau », ou « Ecce Homo », identifiant l’un et l’autre deux moments différents de la Passion qui se traduisent dans deux représentations du Christ. Le Christ de Pitié correspond à un épisode bien précis de la Passion. Venant d’achever son ascension du Golgotha en portant sa Croix, il attend sur un rocher que celle-ci soit dressée avant d’y être cloué (voir : Le Christ de Pitié de Mussy-sur-Seine).

Ecce Homo, cathédrale de Troyes
  Contrairement au Christ de Pitié, l’Ecce Homo est debout. Le plus souvent, il se caractérise tenant un roseau, parfois une palme, portant la couronne d'épines et un manteau. Il illustre un autre moment précis de la Passion que rapporte saint Jean dans son Évangile (19-1 à 19-5) :

  Alors Pilate prit Jésus, et le fit battre de verges. Les soldats tressèrent une couronne d'épines qu'ils posèrent sur sa tête, et ils le revêtirent d'un manteau de pourpre ; puis, s'approchant de lui, ils disaient : Salut, roi des Juifs ! Et ils lui donnaient des soufflets. Pilate sortit de nouveau, et dit aux Juifs : « Voici, je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime ». Jésus sortit donc, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : « Voici l'homme » (que l’on traduit en latin par « Ecce Homo »).

  On ne peut donc confondre le Christ de Pitié à l’Ecce Homo, représentant chacun deux moments bien différents de la Passion du Christ.

Vitrail de la Passion (détail), Sainte-Madeleine de Troyes
 L’Ecce Home est un thème assez répandu en Champagne méridionale, tant dans le vitrail, dans des verrières généralement consacrées à la Passion (à Arrembécourt – vitrail déposé -, Brantigny, Brienne-le-Château, Ervy-le-Châtel, Lhuître, Le Pavillon-Sainte-Julie, Pont-Sainte-Marie, Pouan-les-Vallées, Rigny-le-Ferron, Torvilliers, Saint-Pantaléon de Troyes, Sainte-Madeleine de Troyes, Villiers-Herbisse), que dans la sculpture. On trouve un certain nombre de statues de diverses tailles, le plus grand étant celui de Mussy-sur-Seine (1 m 80) suivit de celui de Saint-Pantaléon de Troyes (1 m 53) et celui de Saint-Jean de Troyes (1 m 49). On peut en trouver encore d’autres à Maraye-en-Othe (1 m 40), à Sainte-Maure (1 m 40), à Villemaur-sur-Vanne (1 m 34), à Saint-Urbain de Troyes (130), à Polisy (1 m 10), à Bar-sur-Aube (1 m), à Aix-en-Othe ( 0 m 92), à Thennelières (0 m 90), à l’ancien Hôtel-Dieu de Troyes (0 m 89) et à Saint-Thibault (0 m 68). 
 
          
Ecce Homo, Mussy-sur-Seine

Ecce Homo, Saint-Pantaléon de Troyes

 L’ "Ecce Homo" de Saint-Patanléon est unique. Il est ici accompagné d’un soldat coiffé d’un turban "à la turque". Il est l’un des plus remarquables, avec celui de la cathédrale de Troyes. Ce dernier est d’une échelle humaine, haut de 1 mètre 70. Il est placé contre le pilier de la sixième chapelle nord de la cathédrale, la chapelle du Sacré Cœur. Cependant ce n’est pas sa place d’origine. Il provient du convent des Cordeliers, vendu aux enchères le 28 mars 1792 à un aubergiste de Troyes appelé Montagne. En 1837, il est recueilli à la cathédrale de Troyes. Cependant, contrairement à ce qui est couramment dit, il ne proviendrait pas de la chapelle de la Passion du couvent. Le dessin publié par A.-F. Arnaud, en 1837, dans le Voyage archéologique et pittoresque dans le département de l’Aube et dans l’ancien diocèse de Troyes, qui le représente dans la niche centrale du retable de l’autel, a induit en erreur les auteurs successifs qui ont pris cette reconstitution imaginaire comme telle qu'elle avait été avant la Révolution. De fait, le dessin montre bien l’inadéquation des proportions de la statue avec la niche dans laquelle elle est posée. Lors de sa vente, en 1792, le Christ au roseau était dans le cloître du couvent, sans doute quelque peu exposé aux intempéries, ce qui expliquerait les traces d’érosion sur le bras et la main gauches.

A.-F. Arnaud, dessin du retable de la chapelle de la Passion des Cordeliers de Troyes
Sur la base, nous lisons clairement : DITAT FIDES SERVATA (la Foi observée enrichit).

 Cet Ecce Homo est daté par les spécialistes de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe. Il comporte un certain nombre de caractéristiques qui le rapprochent d’œuvres attribuées au « Maître de Chaource », et en particulier le Saint Paul et le Saint Pierre de Saint-Pouange. L’impression générale de noblesse et de gravité, la qualité de la sculpture, le travail des mains par exemple qui laissent affleurer les veines sous une peau portant encore les fines rayures de la gradine, le détail des doigts, le visage : le nez à arrête plate et droite, les arcades sourcilières, les paupières, tout laisse à penser que ces statues sont de la même main. L’Ecce Homo de la cathédrale de Troyes se présente le torse bien droit, la tête haute, les main déliées, la corde qui les avaient entravées pend au poignet droit. Il tenait dans sa main gauche le roseau, sceptre de dérision que lui avaient remis ses bourreaux, détail qui ne figure pas dans l'Évangile de Jean ; il a disparu mais a laissé dans sa main fermée un trou dans lequel devait être logé l’accessoire réalisé dans un autre matériau que la pierre (et sans doute en bois).

Ecce Homo, cathédrale de Troyes, détail de la main gauche percée
  La barbe est soignée et bien symétrique, comme les longues mèches de cheveux qui encadrent son visage. C’est un véritable roi qui nous est présenté, imposant sa noblesse à nos regards. Le « roi des Juifs » a été raillé, humilié, quasiment nu sous son manteau pourpre, ne portant qu’un simple périzonium autour de la taille. Flagellé et battu, il ne porte cependant pas les stigmates des sévices qu’il a reçus. Ce n’est pas un Christ affligé et pitoyable, exprimant sa résignation devant la mort, inspirant la pitié et cherchant à implorer de son regard le spectateur, comme on peut le voir dans la majeure partie des Ecce Homo de cette époque dans la région. Il semble prêt à affronter sa destiné, celle qui le conduira à la mort mais par laquelle il révélera sa véritable nature, celle de roi des cieux. Le Christ semble avoir déjà triomphé des souffrances à venir.
Ecce Homo, cathédrale de Troyes, détail du bras et de la main droites.
Il nous montre les traces d'érosion.
Ecce Homo, cathédrale de Troyes, détail.

Ecce Homo, cathédrale de Troyes, détail.

 Au regard des dernières recherches et publications, le "Maître de Chaource" serait Jacques Bachot : 
Julien Marasi, Le Maître de Chaource, découverte d'une identité. Catalogue raisonnéPréface Geneviève Bresc-Bautier, Troyes, Commune de Chaource et Centre troyen de recherche et d'études Pierre et Nicolas Pithou, 2015, ISBN 978-2-907894-62-3

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