dimanche 26 février 2012

1er mars 1562 : le massacre de Wassy

Le Massacre fait à Wassy le premier iour de mars 1562
gravure de Tortorel et Perrissin

En juillet 1561, le 13, le roi avait « expédié » un édit destiné à faire rentrer les protestants hérétiques dans le droit chemin et leur interdisant les conventicules privé ou publics.
 Dans ses mémoires, Nicolas Pithou déclara :  Tant s’en faut que la rigueur de cest edict peust rompre ou empescher les assemblées chrestiennes, que au contraire elles se renforcent plus fort, et se trouverent si grandes et tellement augmentées, tant estoit ardent le zele des fideles, qu’on fut contraint d’accroistre le nombre des ministres [1]
 De fait, loin de porter les fruits escomptés, l'éradication de l'hérésie protestante, une vague iconoclaste enflamma certaines provinces du royaume, en particulier dans toutes les régions méridionales. 
  À Troyes, au cœur de la ville, la Belle Croix fut le théâtre d'affrontements religieux. Les visions miraculeuses et les guérisons qui émanaient de celle-ci étaient raillées par les protestants. La violence des catholiques se déchaîna à l'encontre des hérétiques et profanateurs [2]. 

La Belle Croix de Troyes
Extrait d'un vitrail de Linard Gonthier (1621)
conservé dans la grande salle de l'ancienne Bibliothèque municipale de Troyes
(Photo M. Vuillemin)
  Le 9 septembre 1561 s'ouvrait le colloque de Poissy. Un solution devait y être trouvée pour réconcilier les réformés et les catholiques. Cependant la question de la présence réelle du Christ dans le pain et le vin lors de la consécration de la messe empêcha toute réconciliation doctrinale. 



Colloque de Poissy


gravure de Tortorel et Perrissin


   La furie iconoclaste se poursuivit et s'étendit au Nord du royaume ; le 27 décembre l'église Saint-Médard de Paris fut saccagée. Entre temps, les huguenots de Cahors furent massacrés par les catholiques le 19 novembre. 
  Le 25 décembre 1561, la reine de Navarre abjurait publiquement de sa religion catholique. 


  Afin de mettre fin à toutes ces violences, le jeune roi Charles IX, sous la régence de sa mère Catherine de Médicis, promulgua le 17 janvier 1562 un nouvel édit, « l'Édit de Janvier », qui accordait aux réformés la liberté de culte hors des villes closes, en présence des officiers royaux.
* * *
  
 Les réformés de Wassy devenus de plus en plus importants avaient fait appel à l'Eglise réformée de Troyes qui leur envoya l'un de leur ministre appelé Gravelle le 12 octobre 1561. Après avoir organisé l'Eglise de Wassy, il s'en revint à Troyes le 20 octobre. Nécessitant la présence d'un ministre pour officier à un baptême, l'Eglise réformée de Wassy fit de nouveau appel à Gravelle qui s'y rendit le 13 décembre. Tandis qu'il était sur place, l'évêque de Châlons nouvellement nommé fut envoyé par le cardinal de Lorraine à Wassy, le 16 ou 17 décembre 1561 afin de convertir les protestant au catholicisme. Nicolas Pithou rapporte la dispute entre le ministre Gravelle et l'évêque de Châlons [3]. Selon nicolas Pithou, l'évêque dut se retirer de Wassy, avec sa courte honte. 

  Gravelle administra la Cène de Noël à Watry puis revint à Troyes.
  Le 27 décembre, Léonard Morel était nommé ministre à Wassy. S'agissait-il du même Morel qui, venu de Châlons, prêcha en plusieurs lieux à Troyes et baptisa un enfant le 2 novembre 1561 ?

  L'Edit de Janvier allait permettre aux protestants de Wassy de suivre légalement les prêches et la Cène, à condition qu'ils se déroulent hors de la ville. C'est cependant dans une grange dans la ville close, près de l'église catholique, qu'ils choisirent leur lieu de culte.

  Le dimanche 1er mars, François de Lorraine, duc de Guise s'arrêtait à Wassy, ville de son domaine, sur la route qui le conduisait de Joinville à Paris. Il se rendit à l'église pour y entendre la messe. Certains affirment qu'il aurait été dérangé par les protestants qui étaient au prêche dans une grange toute proche. D'autres qu'il était venu à Wassy résolu à faire appliquer l'Edit de Janvier et à faire sortir les protestants de la ville close. Désirait-il mettre fin à ce foyer hérétique que l'évêque de Châlons, envoyé par son frère, n'avait pu remettre dans le droit chemin ?  
  Les divers auteurs varient aussi quant au nombre de protestants qui assistaient au prêche, certains disent 200 protestants, d'autres 500 ; la légende de la gravure de Torterel et Perrissin avance même le chiffre peu probable de 1200 personnes.

  On ne sait ce qui se passa réellement. Une altercation ou provocation aurait eu lieu. Des soldats accompagnant le duc de Guise auraient réagit et se seraient livré à des violences qui, sous la présence du duc, dérivèrent en un véritable massacre. Il y aurait eu entre 23 et 50 morts et entre 100 et 250 blessés. 

  La gravure de Tortorel et Pérrissin, protestants, et réalisée en 1570, accentue sans doute la part du duc de Guise dans ce massacre, le faisant intervenir l'épée à la main dans la grange. De nombreux détails expriment la cruauté des soldats à l'égard des protestants.

François, duc de Guise, dans la grange de Wassy
Extrait de la gravure de Tortorel et Perrissin
En retrait sur la gauche, devant l'église encore pleine des fidèles catholiques de Wassy, Tortorel et Perrissin ont représenté le cardinal de Lorraine, frère du duc, assistant au massacre.


Charles, cardinal de Lorraine, assistant au massacre
détail de la gravure de Tortorel et Perrissin
Pour le très catholique Claude Haton, curé de Provins, la responsabilité du massacre en revenait aux protestants qui agressèrent le duc de Guise. Passant pacifiquement à Wassy, il fut blessé par plusieurs pierres lancées par des huguenots. Il fit alors charger ses Soldats[4]. Cependant les sources sont très contradictoires quant à la responsabilité du massacre, chaque parti rendant responsable l'autre. 


Ce massacre fit avorter la relative politique de tolérance que la reine Catherine de Médicis avait tenté de mettre en place avec l'Edit de Janvier. Il marque aussi le début des guerres de Religion, bien que Nicolas Pithou, voyait en cet évènement le début de la seconde guerre civile, la première ayant débuté avec le tumulte d'Amboise, du 15 au 19 mars 1560. 
Nicolas Pithou a consigné comment la nouvelle du massacre de Wassy fut reçue à Troyes alors que la réception de l'Edit de Janvier n'avait toujours pas été publié.


Quant à l'edict il demoura sans estre publié en la court de parlement jusques au sixiesme du moys de Mars audict an 1561 (1562). Non toutefoys sans plusieurs et reiterées jussions du roy. Toutefoys aussy tost qu'il fust passé, le bruict en fut espendu par tout le Royaume. Et comme il n'estoit question en l'Eglise de Troyes que toute allegresse et saincte resjouissance pour la liberté de l'evangile octroyée par ledit edict, nouvelles arriverent le second jour du mois de Mars au matin, comme les fidele de l'Eglise de Wassy, distant de Troyes d'environ quatorze ou quinze lieues, estants assemblez sans armes à leur façon accoustumée en une grange dedans la ville avoient esté le jour precedent, les ungs très inhumainement et cruellement massacrez, et les autres fort et griefvement blessez, sans aulcun respect d'aage ni de sexe, par ceux de la suitte du duc de Guyse Françoys de Lorraine, authorisez pas sa presence...
La nouvelle insperée du sanglant massacre de Wassy aariva au plus tost à Troyes. Elle fut accompagnée d'un bruit sourd qui courut, vray ou faulx, que ceux qui l'avoient commitz s'acheminoient à Troyes pour en fayre de mesmes [5].

______________________

[1] Nicolas Pithou de Chamgobert, Chronique de Troyes et de la Champagne durant les guerres de Religion (1524-1595), première édition du manuscrit 698 du fonds Dupuy de la B.N.F. par Pierre-Eugène Leroy, tome I, Presse Universitaire de Reims, 1998, p.313. »

[2] Jacky Provence, « Miracle ou imposture ? Les évènements autour de la Belle Croix de Troyes au prisme de Nicolas Pithou et Claude Haton », actes du colloque Claude Haton en son temps (Provins, 10 et 11 octobre 2009), Bulletin de la Société d’Histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Provins, n° 163 – année 2009, p.115-134.

[3] Nicolas Pithou de Chamgobert, p.328-331.

[4] Mémoires de Claude Haton, Tome 1, Edition intégrale sous la direction de Laurent bourquin, CTHS, 2001, p.227-229.

[5] Nicolas Pithou de Chamgobert, p.341-343.